Dans son édition du 24 janvier 2008, le Figaro reprend l'information publiée par Jean-Dominique Merchet le 14 janvier...
Vous avez dit "bizarre"
Cette fois-ci, le patron de l'armée de terre a écrit à l'encre lourde au chef d'état-major des armées (Cema), pour tirer le signal d'alarme. Dans une lettre dont Le Figaro a obtenu copie, datée du 17 décembre dernier, le général Bruno Cuche n'hésite pas à parler de la «paupérisation globale» qui guette les forces terrestres devant la «dégradation importante sur le plan des équipements». Et d'une «cohérence» de son armée menacée. L'inquiétude du général repose sur la «non-réalisation» des budgets promis les années précédentes. «Sur deux ans, nous avons perdu un milliard d'euros, explique une source militaire. Si cela continue, nos capacités opérationnelles vont être sérieusement entamées.»
Le bât blesse cruellement au niveau des petits programmes, dits de «cohérence opérationnelle». En clair, des programmes qui n'ont pas l'ampleur des grandes commandes comme l'hélicoptère NH90 ou le blindé VBCI mais sont souvent indispensables à la bonne marche de l'ensemble des systèmes d'armes. «Comme ils ont une faible visibilité politique et des enjeux industriels limités, ils sont vite écrasés, explique un colonel. Or ils peuvent être vitaux pour nos soldats.»
Dans sa lettre au Cema, le général Cuche demande ainsi la mise en place «urgente» des tourelles de mitrailleuses «téléopérées» sur les VAB (transports de troupes blindés). Elles permettront au tireur d'opérer depuis l'intérieur du blindé au lieu de risquer sa vie à l'extérieur. «Le durcissement des conflits qui s'amorce rendra ces réalisations d'équipements de plus en plus fondamentales pour préserver la vie des hommes engagés», avertit le général Cuche. Autres exemples : les kits de protection des véhicules blindés légers (VBL), les armements «non létaux» pour le contrôle de foule en opérations extérieures (fusils à balles de caoutchouc…) ou les jumelles de vision nocturne.
Manque de munitions
La bonne tenue des troupes françaises déployées en opérations extérieures cache mal une certaine disette des forces restées à l'arrière . «La disponibilité de certains matériels pour l'entraînement est catastrophique et le manque de munitions confine parfois au ridicule, confie un officier, c'est pourtant essentiel pour le moral des troupes.»
Le maître mot de la réforme à venir est la «rationalisation». «Nous sommes, bien sûr, prêts à faire beaucoup dans ce domaine, à rechercher les regroupements y compris avec les unités d'autres armées pour économiser sur les fonctions de soutien, commente un général, mais il faut se méfier des fausses bonnes idées.»
Parmi celles-ci, l'externalisation de l'entretien de certains matériels que les militaires doivent pouvoir entretenir eux-mêmes en Afghanistan. Ou, pour économiser sur le nombre d'états-majors, la suppression des «régions terre», qui irait à rebours de la décentralisation. Si elle est prête à abandonner un certain nombre de garnisons, l'armée de terre veut préserver son réseau de centres de recrutement et ses filières de formation spécialisées.
Plus largement, l'armée de terre redoute de faire les frais des conclusions du livre blanc et de la RGPP (revue générale des politiques publiques). Comme l'a souvent répété le patron sortant de l'armée de terre, le général Bernard Thorette, «les programmes de l'armée de terre sont malheureusement plus facilement sécables : on peut couper en deux une commande de blindés, plus difficilement un porte-avions». Et, comme les autres armées, les terriens s'inquiètent d'une réforme dont les économies ne se feront sentir qu'à long terme. « À court terme, elle induira des coûts supplémentaires, lance un colonel. Qui paiera ?»